Emmanuel Lévinas

(1906-1995)

Les années de formation

Né dans une famille juive de culture russe, Emmanuel Lévinas amorce sa carrière philosophique comme étudiant à Strasbourg en 1923. Dans cette ville, il noue une amitié décisive avec Maurice Blanchot. En voisin, il suit l'enseignement de Husserl à Fribourg-en-Brisgau, dont il ressent fortement l'influence. Mais il opte résolument pour la culture et la langue françaises. À la même époque, il assiste à un séminaire de Heidegger, dont la pensée l'impressionne considérablement, mais le choque aussi d'emblée par le ton d'inhumanité qu'il y décèle et une certaine indifférence à l'autre. Il se trouve ainsi au tout premier rang d'une avant-garde qui, dans les années 1930, introduit en France, contre une certaine résistance universitaire, la phénoménologie et la philosophie de l'existence avec sa recherche du concret. Il publie en 1930 la Théorie de l'intuition dans la phénoménologie de Husserl, dont il traduit aussi les Méditations cartésiennes. Dans la veine de la philosophie de l'existence, il écrit un certain nombre d'études réunies dans le Temps et l'autre (1945) et En découvrant l'existence avec Husserl et Heidegger (1949).

 

L'influence du judaïsme

C'est surtout avec De l'évasion (1936) qu'il jette les bases de sa pensée personnelle. Il y développe, notamment, les thèmes qui seront popularisés par Sartre dans la Nausée. Il exprime un refus presque instinctif d'une ontologie de type heideggerien qu'il associe à un culte totalitaire de l'être en tant qu'être où l'homme serait sacrifié. En 1940, il est fait prisonnier comme officier français. Durant sa captivité, il confirme son intérêt pour les sources judaïques de sa culture, notamment le prophétisme et le Talmud dont il approfondit l'étude avec le maître Chouchani, autre figure marquante de sa formation intellectuelle. Mais c'est aussi le temps de l'assassinat par les nazis de toute sa famille restée en Lituanie, «tumeur dans la mémoire», écrira-t-il, dont la pensée ne saurait se garder indemne.

 

Autrui

Mêlant étroitement inspiration juive et philosophie occidentale, il assimile la première à une éthique dont le commandement majeur serait une responsabilisation vis-à-vis d'autrui. Elle ne découle pas d'une nature de l'homme devenant, à l'occasion, bonne. Pas plus qu'elle n'est précédée d'une liberté qui lui ferait décider de s'engager. Le moi est responsable pour autrui avant d'être moi, otage d'autrui avant d'être libre, parce qu'il y a chez autrui quelque chose qui indéfiniment résiste à la violence et que Lévinas appelle le «visage». Sa pensée rencontre une audience croissante dans un public attendant en vain de la philosophie un chemin pour dépasser sans la contourner l'horreur de l'histoire récente.

 

Bibliographie

1945 Le Temps et l'autre

1961 Totalité et infini

1961 Essai sur l'extériorité

1968 Quatre lectures talmudiques

1973 Humanisme de l'autre homme

1974 Autrement qu'être ou au-delà de l'essence

1982 De Dieu qui vient à l'idée

 

© Hachette, Encyclopédie Multimedia 1998