La personne


plan

 

Introduction

- Les Présupposés de la question:"qui est mon prochain?"

- Position du problème: "et qui est donc une personne?"

 

I. Thèse: pas de critère de la personne sans engagement éthique à son égard

1. Pas de critère objectif qui permette de reconnaître une personne:
A. Impossible de savoir si l'on doit se conduire à l'égard d'un être comme s'il s'agissait d'une personne à l'aide de sa seule observation

B. On ne peut en effet réduire la notion de personne à un constituant empirique de son existence

2. Application à la question de la vie humaine en ses commencements 

A. L'accueil dû à un être humain se joue au-delà de ce qui, de lui, se donne à voir

B. L'expérimentation sur embryons implique la décision de ne pas traiter l'embryon comme une personne

II. Existence de critères permettant de décider de la justesse de la décision de traiter d'autres êtres comme des personnes

1. Selon quels critères prendre connaissance du "phénomène humain"
A. Formulation de la question

B. Illustration par une scène du 7ème Sceau

2. Application à la difficulté de reconnaître un être humain dans l'embryon

A. Difficultés de naguère

B. Ce qu'aujourd'hui la science permet de dire

Conclusion

De l'apparence biologique de l'humain à la transcendance de la personne humaine,la distance de la foi.


Introduction

 

- Les présupposés de la question: "Qui est mon prochain?"

Dans l'évangile de Luc, au chapitre 10, versets 25 à 36, un juriste - appelé alors légiste - demande à Jésus un critère selon lequel reconnaître les membres de la catégorie du "prochain".

Or, Jésus ne fournit pas de critère, mais raconte une histoire - et dans cette histoire, un homme - sur trois susceptibles d'intervenir - s'acquitte de l'obligation d'aimer son « prochain »  alors même qu'il pourrait appartenir à la catégorie des plus « lointains », n'étant pas juif.

En demandant « Lequel des trois, pensez-vous, se montra le prochain de l'homme tombé aux mains des brigands ? »  et en faisant reconnaître « Celui qui eut compassion de lui » , Jésus déjoue de trois manières, au moins, les présuppositions cachées de la question.

a) En premier lieu, sa réponse implique une théorie « universaliste »  de ce qu'est le prochain, de la « proximité »  - alors que le scribe, doit-on présumer, avait en tête une notion ethnique de la proximité... (prochain = juif, comme lui!).C'est le défi le plus net lancé par Jésus à son interlocuteur, c'est peut-être aussi le moins radical.

b) En second lieu, le récit montre comment nous identifions notre prochain: en prenant parti pour lui, en nous souciant de lui, en sympathisant avec lui, en agissant en sa faveur.

En d'autres termes, une théorie de la connaissance (une épistémologie) est implicite dans l'histoire: c'est à la fin de cette prise de parti que la proximité des deux hommes devient évidente. Qu'un samaritain et un juif puissent être le prochain l'un de l'autre, cela ne serait jamais apparu clairement, si le samaritain, comme le scribe, avait attendu une réponse spéculative à sa question avant de secourir le juif. . . On apprend par une pratique ce que le prochain est vraiment: c'est en prenant parti pour quelqu'un dont on se rend « proche »  que l'on prouve l'existence et le sens de la proximité.

c) En troisième lieu l'histoire est celle d'un juif apprenant qui est son prochain. Or, il l'apprend, non en se souciant de lui, mais en étant l'objet de son souci. Et voilà peut-être l'élément le plus scandaleux de l'histoire: qu'un juif puisse avoir besoin d'un samaritain comme prochain; que la relation de patron à client, apparemment sans problèmes, qui régnait entre juifs et samaritains, puisse être renversée; et que le problème spéculatif de la proximité du samaritain trouve sa solution, non pas dans la sollicitude d'un juif pour un samaritain mal en point, mais bel et bien dans la sollicitude d'un samaritain pour un juif en détresse.

 

- Position du problème: "et qui est donc une personne?"

Le terme de « personne »  a une signification clairement universelle, que celui de « prochain » ne possède pas de façon évidente. Une telle question suppose donc que le premier défi lancé par Jésus au docteur de la loi a été reçu.

Ma thèse sera la suivante : l'interrogation sur la notion de « personne » , sur l'« existence personnelle » , doit aussi tenir compte des deux autres défis.

Rappel...

a) 2ème défi : admettre que la connaissance puisse procéder de la pratique

b) 3ème défi : accepter d'être sollicité personnellement en vue d'une réponse

Le point (a) mérite à ma thèse d'être qualifiée d'« existentielle »  - ce qui n'est pas dommageable pour elle, et ne fait qu'enregistrer une vérité fondamentale sur la connaissance, que le Nouveau Testament rendait patente bien avant que cette vérité ne reçoive l'épithète d'« existentielle »  : il est des connaissances qui ne sont données qu'à l'intérieur d'un engagement comportant foi et obéissance. Cf. « Si quelqu'un veut faire sa volonté (celle de celui qui m'a envoyé), il saura si mon enseignement vient de Dieu » (Jean 7,17).

Le point (b), en revanche, nous fait échapper à la tentation solipsiste qui a trop souvent été celle de la pensée existentielle sous sa version populaire - de « l'existentialisme ». Nous n'affirmons pas que « l'existence personnelle »  est conférée à l'autre par notre disposition à le traiter comme personne. A l'inverse, nous découvrons l'« existence personnelle »  de l'autre par la relation dans laquelle il entre personnellement avec nous. Il y est attendu de nous que nous soyons a priori ouverts à l'autre comme à un autre agent humain, et prêts à toute forme d'échange ou d'interaction avec lui.

Le terme de « personne » doit donc conserver l'implication du vieux terme de « prochain » : nous nous trouvons avec quelqu'un « à proximité de nous » ; ce quelqu'un est comme nous, égal à nous; il agit sur nous comme nous agissons sur lui; il est tout aussi bien un sujet qui nous prend pour objet que nous sommes des sujets qui le prenons pour objet.

Voilà qui présuppose une théorie de la nature humaine : nous-mêmes, et l'égal que nous rencontrons face à nous, avons en commun l'humanité.

 

Première partie :

Pas de critère objectif

qui permette de reconnaître une personne.

 

Nous posons ainsi une thèse sur l'humanité de l'homme:

les membres de notre espèce sont objets de connaissance (au moins les uns des autres) d'une manière qui se distingue de leur connaissance des autres espèces animales. Nous pouvons reconnaître un canard dans l'abstrait, par simple observation, et faire ainsi la différence entre lui et une oie. Évidemment, nous pouvons faire la différence, de la même manière, entre un être humain et un éléphant. Mais une telle reconnaissance par observation est loin d'être le mode approprié sur lequel un être humain peut faire la connaissance d'un autre. Et il est patent qu'elle ne peut répondre aux questions éthiques que la technique médicale nous contraint à poser.

 

1. Insuffisance des critères objectifs

 

A. Impossible de savoir si l'on doit se conduire à l'égard d'un être comme s'il s'agissait d'une personne à l'aide de sa seule observation...

 

Lorsque nous nous demandons si un homme en état de coma dépassé est une personne ou non, il n'est pas immensément utile de répondre que ce n'est pas un éléphant... Nous voulons savoir si c'est bien le même agent humain qui a été notre camarade de travail dans le métier qu'est la vie, ou si ce n'est plus « lui » .

Or on ne peut concevoir de critériologie qui permette de répondre négativement ou affirmativement par la seule voie de l'observation.

Il pourrait sembler possible de répondre négativement, en produisant certaines informations sur son activité cérébrale, qui n'est plus ce qu'elle était lorsque nous nous retrouvions pour déjeuner et parler politique.

Il pourrait sembler possible de répondre positivement, en montrant que certaines fonctions vitales, respiration et rythme cardiaque, s'exercent encore aussi spontanément que lorsqu'il goûtait un bon vin et tirait sur sa pipe.

Mais l'une et l'autre réponse manquerait son objet: ce n'est pas avec son cerveau que nous discutions des élections partielles. C'était avec lui, le sujet humain, la personne. Et même s'il est impossible que la rencontre de deux personnes ait lieu, s'il n'y a chez l'un et chez l'autre activité cérébrale, respiration et rythme cardiaque, l'on ne rencontre pas simplement la somme de ces fonctions, mais un sujet dont l'existence est d'un tout autre ordre.

Il est très important de ne pas penser que la « personne »  est un composant de l'homme, comme le cerveau ou le coeur, différent d'eux mais analogue. Il serait, par exemple, complètement faux de dire que nous avons rencontré « un esprit » . Nous avons tout simplement rencontré Michael: un être humain irréductiblement unique, irremplaçable, certainement membre d'une espèce, mais qui est lui-même, et pas seulement le représentant de son espèce.

Le terme de « personne »  veut dire tout cela.

 

B. On ne peut réduire la notion de personne à un constituant empirique de son existence...

 

C'est donc une confusion de catégories, du point de vue logique, que de vouloir démontrer la présence ou l'absence d'une personne en prouvant la présence ou l'absence de telle ou telle fonction biologique ou neurologique. Dire que l'embryon n'est pas une personne tant qu'il n'a pas d'activité cérébrale est une confusion de catégories; dire qu'il doit y avoir personne parce qu'il y a structure génétique individuelle est aussi une confusion de catégories: en effet, par quelques critères que l'on soit guidé, on finit toujours par réduire la notion de personne à un constituant empirique de son existence.

Certains ont cru échapper aux implications de cette distinction de catégories en traitant l'existence personnelle comme un épiphénomène de fonctions biologiques et neurologiques, qui à ce titre dépendrait d'elles sans leur être réductible.

La pensée qui va dans cette direction ne peut pourtant pas appréhender la singularité de la personne. Le plus qu'elle puisse atteindre est un ensemble de capacités de second ordre, différentes des fonctions biologiques et neurologiques, mais ne permettant d'identifier qu'un genre, et non un individu.

Certains ont cru échapper aux implications de cette distinction de catégories en traitant l'existence personnelle comme un épiphénomène de fonctions biologiques et neurologiques, qui à ce titre dépendrait d'elles sans leur être réductible.

La pensée qui va dans cette direction ne peut pourtant pas appréhender la singularité de la personne. Le plus qu'elle puisse atteindre est un ensemble de capacités de second ordre, différentes des fonctions biologiques et neurologiques, mais ne permettant d'identifier qu'un genre, et non un individu. On peut atteindre ainsi le noyau de comportements et de relations fondamentaux qui appartiennent en général à tout être humain - la personnalité.

C'est un contresens courant que de croire interchangeable ce qui se dit de la personne et ce qui se dit de la personnalité(comme si la différence du concret et de l'abstrait ne voulait rien dire), ou ce qui se dit d'un aspect de la personnalité, par exemple l'aptitude à la relation. Lorsque nous parlons de la personne, nous ne parlons ni d'un certain type de capacité, ni d'une certaine sorte d'attributs.

Notre thèse n'est pas que l'on peut reconnaître les personnes en observant leur aptitude à la relation. Elle est que nous les reconnaissons à l'intérieur d'une relation: en abandonnant le point de vue de l'observateur pour nous engager à les traiter comme personnes.

N.B . La personnalité révèle l'existence personnelle; elle ne la constitue pas. Les attributs personnels sont sujets à un développement: ainsi la conscience de soi. Mais la personne n'est pas comme telle sujette à un développement: elle n'existe pas selon la catégorie de la qualité, mais selon celle de la substance.

 

2. Application à la question de la vie humaine en ses commencements

 

Si l'on applique cela à la question de la vie humaine en ses commencements, de la conception à la naissance, on y trouve la possibilité de comprendre le caractère mystérieux de l'être qui vit dans le ventre de sa mère.

 

A. L'accueil dû à un être humain se joue au-delà de ce qui, de lui, se donne à voir.

 

Les parents ne demeurent pas perplexes face à la vie de leur enfant quand bien même celle-ci se déroberait à toute saisie empirique de leur part: ils y reconnaissent celle de leur enfant à naître.

En s'engageant à dépasser le phénomène, à traiter le foetus comme un bébé, puis le bébé comme une personne, les parents manifestent la condition nécessaire à laquelle le bébé pourra développer ces « traits personnels »  qui ne sont pas la personne, mais qui sont le lieu de sa manifestation.

Plus encore, ce n'est pas arbitrairement que nous pensons que le foetus, si nous en prenons soin comme il le faut, se développera jusqu'au point où, par des traits « personnels » , il révélera qu'il est une personne.

Les parents qui prennent ce soin savent quelle est la fin naturelle d'une grossesse, et agissent dans l'attente de voir cette fin atteinte. Et c'est dans cette mesure qu'ils se donnent la possibilité de connaître leur enfant comme personne humaine.

La volonté de traiter l'embryon comme une personne, celle d'un enfant-à-naître, fonde l'aptitude d'une société à reconnaître et à accueillir ses nouveaux membres, et il sera reflété dans le soin qu'elle prendra des enfants.

Seule une culture en état de grande confusion - ce qui est le cas de la nôtre actuellement - peut arbitrairement traiter un foetus d'une façon et un autre d'une autre. On ne peut sortir de cette confusion qu'en adoptant une attitude culturelle générale à l'égard de l'être humain qui n'est pas encore né.

 

B. L'expérimentation sur embryons implique la décision de ne pas traiter l'embryon comme une personne...

 

L'expérimentation sur embryons humains est aux antipodes de l'attitude parentale à l'égard de l'enfant à naître.

N.B L'avortement, comme tel, ne traduit pas une théorie précise sur le foetus: c'est le pur et simple rejet-refus de l'enfant, et ses défenseurs en parlent souvent comme d'une mesure prise à l'égard d'un bout de tissu impersonnel, mais souvent aussi comme d'un conflit de droits où il est décidé en faveur d'une personne plutôt que d'une autre...

Si la philosophie qui sous-tend la pratique abortive est implicite, en revanche, la philosophie qui sous-entend la pratique de l'expérimentation est explicite:

L'embryon est du tissu disponible et manipulable, qui offre au chercheur un double avantage:

- c'est du tissu humain possédant un haut niveau d'organisation individuelle,

- et « cela »  n'a pas d'existence personnelle.

Cette "philosophie", répétons-le, déborde les phénomènes, et défend en pratique une vue de l'embryon qui ne peut être prouvée objectivement. L'existence de la personne ne peut pas plus être prouvée que son inexistence. Ce n'est pas le phénomène des commencements de l'homme qui exige cette philosophie: ce sont les requêtes internes de l'expérimentation qui la produisent.

L'expérimentation « objective » , elle, assigne à son sujet le statut de « chose »  - telle est la logique de son entreprise!

Nous avons donc à choisir entre deux pratiques, celle de l'expérimentation et celle de la paternité/maternité, et entre les deux modèles contradictoires qu'elles nous donnent d'une attitude à l'égard des enfants non encore nés, en tant que catégorie d'humanité. Ceux que nous traitons comme personnes avant leur naissance nous deviennent connus comme personnes lorsqu'ils sont enfants. Le modèle expérimentaliste cache totalement cette vérité.

 

Deuxième partie

Existence de critères permettant de décider

de la justesse de la décision de traiter

d'autres êtres comme des personnes

 

Une fois dit que la reconnaissance des personnes est une question de « prise de parti »  et un engagement dans l'éthique, il faut ajouter un second point: il y a des critères selon lesquels décider de la justesse d'une décision fidèle à traiter d'autres êtres comme personnes.

 

1. Selon quels critères prendre connaissance du "phénomène humain"?

 

A. Formulation de la question...

 

La thèse selon laquelle nous reconnaissons les personnes dans l'unique mesure où nous les traitons comme telles pourrait sembler ouvrir la porte à n'importe quelle fantaisie.

Que faire des gens qui traitent leurs animaux familiers ou leurs plantes vertes comme si c'était des personnes ? Ils en reçoivent une réponse ambiguë, mais nous avons admis que ce n'est pas une objection dirimante: la réponse de l'ami dans le coma ou de l'enfant nouveau-né est tout aussi ambiguë, et il convient pourtant de prendre parti en faveur de leur existence personnelle.

Sera-t-il semblablement convenable de prendre ainsi parti en faveur des plantes vertes ? Non: comme nous l'avons dit, dès le début, l'engagement existentiel repose sur une anthropologie. Il est justifié en raison de nous engager aux côtés des autres hommes, car nous sommes les uns et les autres semblablement humains.

Cela ne veut pas dire qu'une certaine forme de « prise de parti existentiel »  n'a pas sa place, de façon justifiée, dans notre manière de traiter les plantes vertes. Mais cela ne pourra jamais nous autoriser à les traiter comme des personnes.

Il existe une connaissance fondée sur la seule observation, par laquelle l'on peut « reconnaître »  un être humain et le distinguer d'un éléphant de la même manière que nous connaissons les canards et les distinguons des oies. Ce n'est pas une manière « humaine »  de faire connaissance avec un être humain. Mais c'est une forme de connaissance du phénomène humain qui peut rendre intelligible et justifiée notre prise de parti en faveur de l'existence personnelle d'autres êtres.

 

La question à poser est donc:

selon quels critères prendre connaissance du phénomène humain ? Quelle est l'« apparence »  humaine, ou le « visage »  humain, qui nous invite à prendre existentiellement parti en faveur d'un être, et à espérer rencontrer en lui une « personne humaine » ?

Cette question, à son tour, ne peut recevoir une réponse aussi simple que ses termes sont simples. Les phénomènes, en effet, se déploient dans le temps; et plus nous scrutons un objet, plus sa phénoménalité se révèle à nous.

Nous prendrons l'exemple d'une scène-choc fameuse de Bergman, dans Le Septième Sceau.

 

B. Illustration par une scène du 7ème Sceau

 

Le héros s'approche d'une silhouette assise sur un rocher, légèrement accroupie, et lui tape sur l'épaule. A ce moment, la silhouette tombe pesamment, sa tête se retourne sous un angle bizarre; on voit que ses yeux ont été arrachés, et que ce n'est qu'un cadavre en voie de décomposition. L'apparence (le phénomène) était initialement humaine - mais elle s'est rapidement modifiée, de sorte qu'il n'y a plus là de phénomène humain.

Il faut donc donner à notre question la forme suivante: à quelle profondeur devons-nous aller dans l'élucidation du phénomène, si nous voulons avoir une base suffisante à notre décision de traiter fidèlement d'autres êtres comme personnes ?

Même sous cette forme, cependant, la question peut être fallacieuse. Le héros n'avait pas tort de penser qu'il voyait un homme vivant. Et c'est bien là que réside l'effet-choc. Il était parfaitement convenable de taper sur l'épaule du personnage, comme l'on fait pour attirer l'attention de quelqu'un qui fait la sieste. Il n'aurait pas été convenable de continuer à traiter ce personnage comme un être humain en vie. Mais le chevalier avait des garanties suffisantes pour l'aborder ainsi. Et il aurait été contraire à toute convenance, et moralement pervers, de le transpercer d'une flèche comme une bête de proie: le donné phénoménal lui suggérait qu'il avait affaire à un homme en vie.

Il faut donc écarter toute formulation du problème qui implique l'existence d'un niveau de probabilité à atteindre pour avoir la garantie d'une rencontre interpersonnelle.

Au contraire: c'est immédiatement qu'une apparence humaine exige de nous la réponse d'un engagement personnel. L'apparence peut se révéler trompeuse: nous reconnaissons alors que nous nous sommes trompés et révoquons notre réponse. Mais c'est toujours face à un visage humain (à la mise en présence immédiate d'une humanité) que nous répondons, et non en prenant la mesure de preuves.

Considérons le scénario suivant: l'obstétricien coupe le cordon ombilical, l'infirmière lave le bébé, le pèse, prend les mesures nécessaires pour le protéger de toute infection, et l'enveloppe dans un drap pour lui tenir chaud; les parents lui parlent, l'appellent par son nom, tentent d'attirer son attention, apaisent ses pleurs; c'est alors que le bébé donne des signes de malaise, et il meurt en quelques minutes. Il était donc inutile de lui parler, de l'appeler par son nom, d'attirer son attention: ses yeux, après tout, ne voyaient pas, et ses oreilles n'entendaient pas. Mais au cours des premiers instants, tout semblait normal. Et quand nous disons que les parents avaient raison de le traiter comme on traite un enfant viable, nous ne recommandons pas simplement de faire le bon choix dans les cas douteux... Nous disons que la seule manière de répondre à l'apparence humaine est l'engagement personnel. Il n'y avait aucun doute possible avant que n'apparaissent les premiers symptômes alarmants; et émettre un doute avant qu'ils n'apparaissent aurait été l'oeuvre d'une mauvaise foi absolue. L'apparence immédiate d'un enfant était une garantie suffisante pour que, en ces premiers moments, l'on reconnaisse en lui une personne humaine .

 

2. Application à la difficulté de reconnaître un être humain dans l'embryon

 

Dire que nous répondrons immédiatement ne veut pas dire qu'il ne soit pas possible de discerner plus précisément le visage et l'apparence de l'homme.

 

A. Difficultés de naguère ...

 

Les premiers explorateurs à rencontrer des pygmées avaient peut-être des doutes partiellement justifiés au sujet de leur appartenance à l'humanité. Mais nul aujourd'hui n'aurait le droit d'émettre un tel doute. Beaucoup d'entre nous pourraient supposer par erreur que quelqu'un est mort, alors que l'oeil exercé du médecin discerne un cas de coma.

Nous savons déterminer les caractères génériques du phénomène humain plus précisément que les générations précédentes. Cela est de grande importance, si l'on veut comprendre comment l'embryon humain sollicite notre attention et notre prise de parti.

Les générations antérieures avaient des difficultés parfaitement légitimes à reconnaître dans l'enfant, en son stade embryonnaire, un être humain. Les discontinuités apparentes sont frappantes et, bien sûr, l'embryon, à l'époque, n'était jamais observé vivant. D'où la vieille hypothèse d'un moment de « l'animation » , qui transformait ce corps étrange et lui donnait vie grâce à l'arrivée d'une âme...

 

B. Ce qu'aujourd'hui la science permet de dire

La science a ôté toute valeur de preuve aux discontinuités évoquées.

L'embryologie nous a fait abandonner l'idée d'une discontinuité physiologique majeure, dans le développement de l'homme, entre stade embryonnaire et stade foetal.

Et d'un autre côté, la génétique a mis en lumière une discontinuité majeure, à la conception, lorsque les génotypes des parents se transforment ou reforment en un nouveau génome, qui représente la personnalité génétique distincte de l'embryon. Cela a pour conséquence, non seulement que l'histoire de l'embryon/foetus ne peut plus être conçue comme incluant un « moment de l'animation » , mais encore qu'il n'est plus question d'y inclure l'histoire du sperme antérieurement à la conception.

Notre génération ne peut éviter les implications de son savoir. Nous savons mieux quel est le visage de l'homme, et nous pouvons en discerner les traits dans l'embryon - ce que nos ancêtres ne pouvaient pas.

 

Conclusion

De l'apparence biologique de l'humain à la transcendance de la personne humaine,la distance de la foi!

La science expérimentale ne prouve pas que l'enfant, avant sa naissance, est une personne humaine: cela ne peut en principe pas être prouvé.

Nous ne pouvons accepter aucune équation du type « existence personnelle = activité cérébrale » , ou « = génotype » , ou quelque autre que soit: ce serait réduire la personne, qui comme telle n'est connue que dans l'engagement personnel, à n'être qu'une fonction de critères empiriques observables.

Cependant, la science expérimentale clarifie pour nous le contour des continuités et discontinuités objectives, de telle sorte que nous pouvons identifier avec une précision plus grande le « commencement» de toute existence individuelle. La biologie ne nous révèle évidemment que des commencements purement biologiques - comment pourrait-il en être autrement ? En adoptant nos connaissances scientifiques comme raison suffisante d'un respect de l'être humain, nous ne déclarons pas que l'existence personnelle est un fait purement biologique. Nous nous contentons d'explorer les pré-suppositions de la prise de parti personnelle. Et la seule raison que nous ayons d'en prendre le risque, à notre première rencontre avec l'embryon, est l'« apparence biologique ».

S'il est vrai que la personne humaine résiste à toute analyse qui prétende en rendre compte exhaustivement, c'est qu'elle est la substance de l'être humain en tant qu'il est appelé à être plus et autrement qu'il n'est empiriquement - , tel l'embryon est appelé à naître. Ce que nul ne saurait observer, mais que chacun se doit de favoriser.

Mais cet événement, de vocation, à la différence de la naissance, n'est retransmissible en direct par aucune radio, ni télévision... La science sans la foi passe à côté de l'humain, éclairée par la foi, elle y conduit!

Nous connaissons l'autre personne dans les manifestations qui nous dévoilent son être, et nous ne reconnaissons qu'il est plus que la somme de ses manifestations qu'en nous intéressant sérieusement, au préalable, à ce que l'apparence révèle.

Le Samaritain montra qu'il était le prochain du juif. Il fut le seul voyageur sur cette route à faire confiance à ce que ses yeux lui enseignaient: « Quand il le vit, il eut compassion de lui » .

 


© M. Pérignon