Quelles différences faites-vous entre parler et bavarder ?
Justifiez ces différences !
Dans la vie courante, les gens utilisent les verbes "bavarder" dans certaines situations et "parler" dans d'autres.
Il serait intéressant de voir sils ont raison de faire cette distinction, en se demandant quelles différences nous faisons entre parler et bavarder, et comment nous les justifions.
Après avoir défini la teneur exacte des distinctions à faire, et en avoir cerné les présupposés et l'enjeu, nous pourrons les définir avant d'en montrer les fondements.
La question de savoir quelles différences nous faisons entre parler et bavarder et comment nous les expliquons porte sur le langage et son usage. Il s'agit de savoir s'il est pertinent de distinguer la parole du bavardage.
Sinterroger sur les différences entre parler et bavarder conduit à identifier les critères qui permettent de distinguer ces deux manières de sexprimer. Par "parler" on entend une action par laquelle un sujet procède à des énoncés déterminés à partir des possibilités que lui offre une langue dont il comprend l'usage. Quant au verbe " bavarder ", il signifie causer avec quelqu'un de choses et d'autres, parfois même divulguer des propos qu'on devrait taire. La conjonction de coordination "et" tout en juxtaposant les termes qui sont à comparer, accorde une importance première au premier des deux, à savoir au verbe "parler". Il sagira pour nous de bien différencier la parole du bavardage. L'interrogatif "comment", souvent opposé à linterrogatif "pourquoi", ne doit pas nous induire en erreur. Il ne saurait suffire de décrire le moment de la distinction relevée. Il sagit de comprendre pourquoi il est bon de distinguer la parole du bavardage. La question "comment" engage à réfléchir sur les raisons de ces différences, et les justifier équivaut à en légitimer l'existence.
On peut par conséquent reformuler le sujet de la façon suivante: quels sont les critères qui nous permettent de distinguer laction par laquelle un sujet effectue des énoncés déterminés à partir des possibilités que lui offre une langue dont il comprend l'usage, de celle de causer avec quelqu'un de choses et d'autres ? Et en quoi sont-ils pertinents?
On peut tenir pour admis, en voyant le problème ainsi posé, que la langue distingue le fait de parler de celui de bavarder. De fait Aristote distinguait-il déjà en grec le logos de la phonè.
En se demandant quelles différences nous faisons entre parler et bavarder et comment nous les justifions, on ne cherche pas seulement à connaître les fonctions respectives de la parole et du bavardage. On sinterroge sur celle du langage, qui est l'accomplissement de l'humanité dans léchange de ses pensées au service dune vie en harmonie entre les hommes.
Ainsi éclairés sur lenjeu de notre recherche, interrogeons-nous à présent sur les différences entre parler et bavarder et recherchons les raisons de leur existence.
Pour commencer il serait judicieux d'étudier le contenu linguistique des énoncés utilisés lorsque nous parlons et ceux usités au moment où nous bavardons. Nous remarquons alors que les premiers dans leur ensemble sont des actes. Le philosophe J.L. Austin dans l'ouvrage Quand dire, c'est faire les appelle des énoncés performatifs en référence au verbe anglais perform signifiant: accomplir une action. Ils constituent en eux-mêmes des actes et produisent des effets comme par exemple le font des expressions telles que "je te jure" ou "je te promets". En disant cela le sujet s'engage vis à vis de son interlocuteur, il fait un serment, tandis que dans le bavardage les énoncés décrivent des phénomènes, sont des constats ou des descriptions susceptibles d'être vrais ou faux, appelés énoncés constatatifs.
Parler s'effectue en présence d'un interlocuteur dont nous choisissons de recueillir la pensée ou le sentiment ou à qui nous choisissons de communiquer notre pensée ou notre sentiment. Notons que parler pourra vouloir dire bavarder dans le cas où nous parlerions de tout et de rien. Mais c'est là quun cas particulier où il aurait été plus judicieux ou plus juste de choisir alors le terme bavarder, car il signifie s'exprimer sur un thème sans importance réelle et avec une personne avec qui on ne cherche pas à approfondir une pensée. Bavarder avec un ami, avec la voisine de quartier ou même une camarade de classe, sous-entend que nous "parlons" d'un sujet qui ne nous tient pas vraiment à cur, comme la météo, un fait divers, un fait de société, la politique, etc.... mais surtout dicté par l'obligation sociale d'une rencontre et donc d'une communication, d'un échange "obligé", par politesse.
Il est banal de dire que le langage permet à la pensée de se communiquer. L'enfant apprend à parler et à penser en même temps. Il est donc nécessaire que les adultes lui parlent afin qu'il prenne conscience de son existence de sujet pensant et développe sa propre aptitude à penser. "Le je s'éveille par la grâce du tu" comme le dit Bachelard. Dans toute parole est présente une fonction "expressive" ou émotive à travers laquelle le sujet s'exprime lui-même et exprime la pensée qu'il a sur la réalité. Dans le bavardage nous ne développons pas une pensée mais nous discutons de petites choses sans les relier forcément entre elles, surtout sans les développer en profondeur, sans les analyser.
Il ne faut pour autant dénigrer le bavardage. Il est pour les hommes un moyen essentiel d'établir des rapports; on peut même dire qu'il est presque la condition fondamentale, en même temps que la conséquence, de l'existence des rapports sociaux. Le bavardage permet aux hommes d'entrer en relation. C'est par lui que nous pourrons être amenés à échanger des propos, qui seront porteurs des pensées; car, chez l'homme, on ne saurait la pensée de la parole. Ce qui faisait dire à Merleau-Ponty que "Le sens est pris dans la parole, et la parole est l'existence extérieure du sens."
Nous avons montré que les énoncés purement constatatifs, sans grande portée, composent le bavardage, à la différence des énoncés véhiculés par la parole, qui sont beaucoup plus productifs en pensées. Dans la parole saffirme la liberté même de la pensée, dégagée de l'obligation sociale ou du désoeuvrement qui rendent le bavardage le plus souvent insignifiant ou convenu. Les différences que lon fait entre parler et bavarder se justifient donc essentiellement par le niveau dimplication de la pensée dans lacte de communication: plus élevé dans le fait de parler que dans celui de bavarder, il est essentiellement conventionnel et superficiel dans le bavardage.
Resterait à se demander sil ne conviendrait pas de réhabiliter le bavardage dans une société où les gens, pressés, négligent trop souvent toute parole qui ne serait pas immédiatement performative.
Amélie GAZEL, Elève de Terminale ES, 1998/99
Lycée Saint Pierre Chanel - THIONVILLE