Nietzsche
Par-delà le bien et le mal
cinquième partie
§ 203
Wir, die wir eines andren Glaubens sind -, wir, denen die demokratische Bewegung nicht bloss als eine Verfalls-Form der politischen Organisation, sondern als Verfalls-, nämlich Verkleinerungs-Form des Menschen gilt, als seine Vermittelmässigung und Werth-Erniedrigung: wohin müssen wir mit unsren Hoffnungen greifen? - Nach neuen Philosophen, es bleibt keine Wahl; nach Geistern, stark und ursprünglich genug, um die Anstösse zu entgegengesetzten Werthschätzungen zu geben und "ewige Werthe" umzuwerthen, umzukehren; nach Vorausgesandten, nach Menschen der Zukunft, welche in der Gegenwart den Zwang und Knoten anknüpfen, der den Willen von Jahrtausenden auf neue Bahnen zwingt. Dem Menschen die Zukunft des Menschen als seinen Willen, als abhängig von einem Menschen-Willen zu lehren und grosse Wagnisse und Gesammt-Versuche von Zucht und Züchtung vorzubereiten, um damit jener schauerlichen Herrschaft des Unsinns und Zufalls, die bisher "Geschichte" hiess, ein Ende zu machen - der Unsinn der "grössten Zahl" ist nur seine letzte Form -: dazu wird irgendwann einmal eine neue Art von Philosophen und Befehlshabern nöthig sein, an deren Bilde sich Alles, was auf Erden an verborgenen, furchtbaren und wohlwollenden Geistern dagewesen ist, blass und verzwergt ausnehmen möchte. Das Bild solcher Führer ist es, das vor unsern Augen schwebt: - darf ich es laut sagen, ihr freien Geister? Die Umstände, welche man zu ihrer Entstehung theils schaffen, theils ausnützen müsste; die muthmaasslichen Wege und Proben, vermöge deren eine Seele zu einer solchen Höhe und Gewalt aufwüchse, um den Zwang zu diesen Aufgaben zu empfinden; eine Umwerthung der Werthe, unter deren neuem Druck und Hammer ein Gewissen gestählt, ein Herz in Erz verwandelt würde, dass es das Gewicht einer solchen Verantwortlichkeit ertrüge; andererseits die Nothwendigkeit solcher Führer, die erschreckliche Gefahr, dass sie ausbleiben oder missrathen und entarten könnten - das sind unsre eigentlichen Sorgen und Verdüsterungen, ihr wisst es, ihr freien Geister? das sind die schweren fernen Gedanken und Gewitter, welche über den Himmel unseres Lebens hingehn. Es giebt wenig so empfindliche Schmerzen, als einmal gesehn, errathen, mitgefühlt zu haben, wie ein ausserordentlicher Mensch aus seiner Bahn gerieth und entartete: wer aber das seltene Auge für die Gesammt-Gefahr hat, dass "der Mensch" selbst entartet, wer, gleich uns, die ungeheuerliche Zufälligkeit erkannt hat, welche bisher in Hinsicht auf die Zukunft des Menschen ihr Spiel spielte - ein Spiel, an dem keine Hand und nicht einmal ein "Finger Gottes" mitspielte! - wer das Verhängniss, erräth, das in der blödsinnigen Arglosigkeit und Vertrauensseligkeit der "modernen Ideen", noch mehr in der ganzen christlich-europäischen Moral verborgen liegt: der leidet an einer Beängstigung, mit der sich keine andere vergleichen lässt, - er fasst es ja mit Einem Blicke, was Alles noch, bei einer günstigen Ansammlung und Steigerung von Kräften und Aufgaben, aus dem Menschen zu züchten wäre, er weiss es mit allem Wissen seines Gewissens, wie der Mensch noch unausgeschöpft für die grössten Möglichkeiten ist, und wie oft schon der Typus Mensch an geheimnissvollen Entscheidungen und neuen Wegen gestanden hat: - er weiss es noch besser, aus seiner schmerzlichsten Erinnerung, an was für erbärmlichen Dingen ein Werdendes höchsten Ranges bisher gewöhnlich zerbrach, abbrach, absank, erbärmlich ward. Die Gesammt-Entartung des Menschen, hinab bis zu dem, was heute den socialistischen Tölpeln und Flachköpfen als ihr "Mensch der Zukunft" erscheint, - als ihr Ideal! - diese Entartung und Verkleinerung des Menschen zum vollkommenen Heerdenthiere (oder, wie sie sagen, zum Menschen der "freien Gesellschaft"), diese Verthierung des Menschen zum Zwergthiere der gleichen Rechte und Ansprüche ist möglich, es ist kein Zweifel! Wer diese Möglichkeit einmal bis zu Ende gedacht hat, kennt einen Ekel mehr, als die übrigen Menschen, - und vielleicht auch eine neue Aufgabe! ....
Nous qui relevons d'une autre régime de la croyance, nous qui considérons le mouvement démocratique non seulement comme une forme décadente de l'organisation politique, mais comme une forme de la décadence, c'est-à-dire de rapetissement de l'homme, de nivellement et de diminution de valeur, où devons-nous placer notre espoir ? Dans des philosophes nouveaux, nous n'avons pas le choix; dans des esprits assez vigoureux et assez neufs pour prendre l'initiative d'évaluations opposées et pour transvaluer, pour renverser les "valeurs éternelles"; dans des précurseurs, dans des hommes de l'avenir qui dès maintenant riveront la chaîne et serreront le noeud, qui contraindront la volonté des millénaires à s'engager dans de nouvelles voies. Enseigner à l'homme à sentir que l'avenir de l'homme est dans sa volonté, que cet avenir dépend d'une volonté humaine; préparer de grandes entreprises, de grandes expériences collectives de discipline et de dressage, pour mettre fin à cette effroyable domination du non-sens et du hasard qui a jusqu'à présent porté le nom d'"Histoire" - le non-sens du "plus grand nombre" n'en est que la forme la plus récente. Pour cela il nous faudra un jour une sorte nouvelle de philosophes et de chefs, auprès desquels tout ce que la terre a jamais vu d'esprits secrets, redoutables et bienveillants paraîtra terne et mesquin. C'est l'image de tels chefs qui nous hante, puis-je le dire tout haut, ô libres esprits ? Les circonstances de leur surgissement qu'il faudrait tantôt créer, tantôt utiliser; les chemins et les épreuves susceptibles d'élever une âme à ce degré de hauteur et de force où elle ressentirait la contrainte d'assumer cette tâche nouvelle; une transmutation des valeurs, qui burinerait une conscience, qui transformerait un coeur en airain, les rendant capables de supporter le poids d'une pareille responsabilité; sentir d'autre part la nécessité de pareils guides, le risque terrible qu'ils puissent faire défaut, dégénérer ou se corrompre - c'est ce qui nous soucie et nous assombrit, vous le savez, libres esprits. Ce sont les pensées lourdes et lointaines et les orages qui passent au ciel de notre vie. Il est peu de douleurs aussi poignantes que d'avoir une fois vu, deviné, pressenti comment un homme hors du commun peut sortir de sa voie et dégénérer; mais quiconque a le sens rare du péril collectif de déchéance de "l'homme" lui-même; quiconque a, comme nous, mesuré le hasard prodigieux qui s'est joué jusqu'à ce jour de l'avenir de l'homme - un jeu qu'aucune ne joue, pas même le "doigt de Dieu"-; quiconque devine la fatalité qui se cache dans la stupide inconscience et la folle crédulité des "idées modernes", plus encore dans toute la morale européenne et chrétienne, celui-là éprouve une angoisse à laquelle nulle ne se peut comparer; il saisit en effet d'un regard tout ce qu'on pourrait encore éduquer dans l'homme en concentrant et en stimulant de façon favorable ses forces et ses tâches; il a la pleine conscience que l'homme n'a pas encore épuisé ses possibilités les plus hautes, il sait combien de fois déjà le type humain s'est trouvé à la croisée des chemins, face à des décisions pleines d'incertitude; il sait mieux encore, par son plus douloureux souvenir, contre quelles pitoyables réalités s'est généralement brisé dans son devenir un homme de premier ordre, comment s'est brisé, a défailli, a sombré. Cette dégénérescence collective de l'humanité, qui la ramène au niveau du parfait animal de troupeau dans lequel les rustres et les imbéciles du socialisme reconnaissent "l'homme de l'avenir", - comme étant leur idéal ! - cette dégénérescence et ce rapetissement de l'homme jusqu'au parfait animal de troupeau (ou, comme ils disent, à l'homme de la " société libre ") cet abêtissement de l'homme jusqu'à l'état de gnome aux droits et aux titres égaux est possible, ça ne fait pas de doute ! Quiconque a pensé jusqu'au bout, ne fût-ce qu'une seule fois, cette possibilité, connaît un dégoût que ne connaissent pas les autres hommes - et peut-être aussi une tâche nouvelle.
"Une tâche nouvelle" (définie dans la sixième partie et les suivantes)
Un souffle grandiose parcourt l'ensemble du §. Le souffle d'un humanisme meurtri et pourtant plein d'espoir. En disant qu'elle est sa foi, Nietzsche rend sinon plus douce, du moins plus compréhensible la cruauté avec laquelle il tranchait à vif dans la commune moralité tout au long des aphorismes précédents. Le philosophe magnifié dans ce §, n'est autre que Nietzsche lui-même.
Soucieux de mettre fin à ce qu'il juge être la dégénérescence de l'homme, Nietzsche porte son regard sur ce qu'il pourrait encore tirer de lui et il s'interroge sur les moyens à employer - susciter à tout prix un homme nouveau (philosophe et chef, => homme supérieur) capable de renverser le règne du hasard pour faire place à celui de la volonté humaine, de la volonté qui s'est égarée dans la morale du troupeau, dont il a été longuement question antérieurement.
Nietzsche envisage ainsi la possibilité d'une morale nouvelle, favorisant le développement de l'esprit libre, et passe en revue les conditions nécessaires pour qu'une humanité supérieure puisse voir le jour.
Seuls des hommes radicalement nouveaux peuvent bâtir une croyance morale positive, qui serve la vie et la Volonté de puissance. Leur caractère bien trempé (" vigoureux ") leur permettra de supporter les obstacles et les déconvenues qui viendraient ébranler les énergies les plus solides.
Leur tâche consistera à inventer une nouvelle table de valeurs, non pas en modifiant celles qui existent déjà pour en prendre le contre-pied (" évaluations opposées ") mais en dépassant (" transvaluer ") une fois de plus les oppositions traditionnelles. La volonté servira de fil conducteur. Ainsi l'homme favorisera-t-il peut-être la véritable histoire, celle de la volonté de puissance ascendante.
Autres aphorismes de la cinquième partie