"Considérons par exemple la honte... Sa structure est intentionnelle, elle est appréhension honteuse de quelque chose et ce quelque chose est moi. J'ai honte de ce que je suis. La honte réalise donc une relation intime de moi avec moi: j'ai découvert par la honte un aspect de mon être. Et pourtant, bien que certaines formes complexes et dérivées de la honte puissent apparaitre sur le plan réflexif, la honte n'est pas originellement un phénomène de réflexion. En effet, quels que soient les résultats que l'on puisse obtenir dans la solitude par la pratique religieuse de la honte, la honte dans sa structure première est honte devant quelqu'un. Je viens de faire un geste maladroit ou vulgaire : ce geste colle à moi, je ne le juge ni ne le blâme, je le vis simplement, je le réalise sur le mode du pour-soi. Mais voici tout à coup que je lève la tête ; quelqu'un était là et m'a vu. Je réalise tout à coup toute la vulgarité de mon geste et j'ai honte... Autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même: j'ai honte de moi tel que j'apparais à autrui. Et par l'apparition même d'autrui, je suis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme un objet, car c'est comme objet que j'apparais à autrui... La honte est par nature reconnaissance. Je reconnais que je suis comme autrui me voit.

Sartre, L'être et le néant (1943)

   

 

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