Nietzsche
Par-delà le bien et le mal
cinquième partie
§ 192
Wer der Geschichte einer einzelnen Wissenschaft nachgegangen ist, der findet in ihrer Entwicklung einen Leitfaden zum Verständniss der ältesten und gemeinsten Vorgänge alles "Wissens und Erkennens": dort wie hier sind die voreiligen Hypothesen, die Erdichtungen, der gute dumme Wille zum "Glauben", der Mangel an Misstrauen und Geduld zuerst entwickelt, - unsre Sinne lernen es spät, und lernen es nie ganz, feine treue vorsichtige Organe der Erkenntniss zu sein. Unserm Auge fällt es bequemer, auf einen gegebenen Anlass hin ein schon öfter erzeugtes Bild wieder zu erzeugen, als das Abweichende und Neue eines Eindrucks bei sich festzuhalten: letzteres braucht mehr Kraft, mehr "Moralität". Etwas Neues hören ist dem Ohre peinlich und schwierig; fremde Musik hören wir schlecht. Unwillkürlich versuchen wir, beim Hören einer andren Sprache, die gehörten Laute in Worte einzuformen, welche uns vertrauter und heimischer klingen: so machte sich zum Beispiel der Deutsche ehemals aus dem gehörten arcubalista das Wort Armbrust zurecht. Das Neue findet auch unsre Sinne feindlich und widerwillig; und überhaupt herrschen schon bei den "einfachsten" Vorgängen der Sinnlichkeit die Affekte, wie Furcht, Liebe, Hass, eingeschlossen die passiven Affekte der Faulheit. - So wenig ein Leser heute die einzelnen Worte (oder gar Silben) einer Seite sämmtlich abliest - er nimmt vielmehr aus zwanzig Worten ungefähr fünf nach Zufall heraus und "erräth" den zu diesen fünf Worten muthmaasslich zugehörigen Sinn -, eben so wenig sehen wir einen Baum genau und vollständig, in Hinsicht auf Blätter, Zweige, Farbe, Gestalt; es fällt uns so sehr viel leichter, ein Ungefähr von Baum hin zu phantasiren. Selbst inmitten der seltsamsten Erlebnisse machen wir es noch ebenso: wir erdichten uns den grössten Theil des Erlebnisses und sind kaum dazu zu zwingen, nicht als "Erfinder" irgend einem Vorgange zuzuschauen. Dies Alles will sagen: wir sind von Grund aus, von Alters her - an's Lügen gewöhnt. Oder, um es tugendhafter und heuchlerischer, kurz angenehmer auszudrücken: man ist viel mehr Künstler als man weiss. - In einem lebhaften Gespräch sehe ich oftmals das Gesicht der Person, mit der ich rede, je nach dem Gedanken, den sie äussert, oder den ich bei ihr hervorgerufen glaube, so deutlich und feinbestimmt vor mir, dass dieser Grad von Deutlichkeit weit über die Kraft meines Sehvermögens hinausgeht: - die Feinheit des Muskelspiels und des Augen-Ausdrucks muss also von mir hinzugedichtet sein. Wahrscheinlich machte die Person ein ganz anderes Gesicht oder gar keins.
Celui qui a suivi l'histoire d'une science particulière trouvera dans son évolution une fil conducteur qui l'aidera à comprendre les phénomènes les plus anciens et les plus généraux de tout "savoir et connaître". Dans un cas comme dans l'autre, ce qui se développe en premier lieu, ce sont les hypothèses hâtives, les fictions, la sotte bonne volonté de "croire", le manque de méfiance et de patience; nos sens n'apprennent que tard, et n'apprennent jamais complètement à être les organes subtils, fidèles et prudents de la connaissance. A notre oeil Il est plus facile de reproduire, sur une indication donnée, une image déjà souvent produite, que de retenir ce qu'une impression a de différent et de neuf; il faut pour cela plus de force, plus de "moralité". Entendre quelque chose de nouveau est pénible et difficile à l'oreille; nous saisissons mal de la musique étrangère. Involontairement nous cherchons, à l'écoute d'une langue étrangère, à mettre sous les sons que nous entendons des mots qui nous semblent plus familiers et plus proches. C'est ainsi que l'Allemand en entendant autrefois arcubalista en a fait le mot Armbrust. La nouveauté heurte et indispose nos sens; et d'ailleurs dans les phénomènes sensoriels les plus simples sont déjà régis par les affects de crainte, d'amour et de haine, y compris les affects passifs de la paresse. De même qu'un lecteur ne lit pas tous les mots, et moins encore toutes les syllabes d'une page - sur vingt mots il en saisit quatre ou cinq au hasard et "devine" le sens qu'il présume devoir leur donner - de même nous ne voyons pas un arbre avec exactitude et dans son entier, en prenant en compte ses feuilles, ses branches, sa couleur, sa forme; il nous est beaucoup plus facile d'imaginer un à-peu-près d'arbre. Même en présence des événements les plus étranges, c'est encore ainsi que nous agissons : nous en imaginons la plus grande partie, et c'est tout juste s'il est possible de nous empêcher assister à un quelconque événement sans en être "l'inventeur". Tout cela pour dire que nous sommes foncièrement et de tout temps habitués à mentir. Ou, pour l'exprimer en termes plus vertueux et plus hypocrites, bref plus plaisants, on est beaucoup plus artiste qu'il ne le pense. Au cours d'une conversation animée, il m'arrive de voir le visage de la personne avec qui je parle, selon la pensée qu'elle exprime ou que je crois avoir éveillée en elle, se dessiner avec une netteté et une précision de détail qui dépassent de loin mon acuité visuelle; il faut donc que le jeu délicat des muscles et l'expression du regard aient été inventés par moi. Il est probable que la personne en question avait une tout autre expression, ou n'en avait aucune.
"Nous sommes forcément et de tout temps habitués à mentir"
Partant de l'observation de la pensée en recherche de connaissance, Nietzsche entend montrer, à l'aide de plusieurs exemples d'exercices plus ou moins élaborés de perceptions visuelles et auditives, que "nous sommes forcément et toujours disposés à mentir". Il entend montrer ainsi que, spontanément, le regard que nous portons sur le monde (cf. début du §) et sur les autres (cf. fin du §) est sous l'emprise de l'affectivité, qu'il en déforme l'aspect au gré de nos affects. Si l'on en croit Nietzsche, il est normal de mentir, c'est dans dans la logique de la vie... Cf. § 3-4
Si Nietzshe commence par évoquer l'histoire des sciences, c'est parce qu'elle permet d'observer le processus de constitution d'un discours qui est sensé être régi par l'obligation, morale, de conduire à la vérité. Nietzsche prend un malin plaisir à montrer que l'histoire naturelle de la morale nous réserve bien des surprises. Loin de nous conduire à la vérité, la connaissance nous en détournerait ! Dans le recherche scientifique, dès la constitution des " hypothèses ", le devoir de vérité est trahi. " Hâtives ", elles ne reposent pas sur une réflexion solide et une analyse rationnelle des éléments qui les induisent. Mieux, elles surgissent d'une " fiction ", construction totalement imaginaire et déconnectée du réel.
Certaines données psychologiques expliquent ces maladresses: la précipitation et la crédulité (" manque de méfiance et de patience ") qui caractérisent d'ordinaire un comportement immature. Nietzsche observe qu'avant même de poser des hypothèses, la réception des faits à analyser et à comprendre brouille leur présentation objective, (le scientifique dirait, " véridique "). Pour Nietzsche, en fonction même du caractère mouvant du réel chaque fait est original, irréductible à un autre que lui-même. Cependant, l'homme retient le " connu ", l'identique et ignore la nouveauté qui fait la réalité du fait. Mieux, il " cherche " ce connu quand il ne lui est pas donné d'emblée et constitue des identifications abusives. Enfin, comble de la mystification, il " invente " quand il ne trouve pas ! La conclusion s'impose alors d'elle-même : L'homme est " habitué à mentir ". Nietzsche ajoute " chacun est beaucoup plus artiste qu'il ne le croit ". Ce n'est ni pour ménager la susceptibilité des lecteurs (" termes plus hypocrites ") ou pour atténuer leur immoralisme (" termes plus vertueux ") ? Nietzsche donne ici la raison de la maltraitance de de la valeur de vérité : toute vie est artiste, et chaque homme l'est donc aussi à partir du moment où la survie n'est possible que par la mise en forme de la matière, l'organisation du chaos, voire un minimum de superficielle apparence (pensez au § 59). La notion d'art est comprise, dans ce contexte, de manière très large. Toute productivité, toute création de formes par la volonté de puissance est " art ".
N.B. Il est vrai que nous percevons spontanément la réalité en fonction de ce que nous sommes, et que notre sensibilité est indissociable de notre affectivité. Bachelard mettra en évidence le rôle d'obstacle épistémologique joué par l'affectivité. Admettons que nous soyons habitués à mentir - encore faudrait-il prouver que nous le fassions intentionnellement. La science et, avant elle déjà, la philosophie ne témoigent-elles pas en faveur de l'effort dont est capable l'esprit humain pour lutter contre sa pente déformatrice naturelle. Nous sommes , certes, portés à nous tromper, et le souci de la vérité est souvent le dernier de nos soucis. Mais la morale n'a-t-elle pas précisément pour but de nous obliger à lutter contre notre pente naturelle, en nous obligeant à dire vrai ? La critique de Nietzsche n'est-elle pas d'ailleurs tout entière au service du redressement de ce qu'il tient pour être notre pente naturelle à l'erreur ? Lorsque Descartes mettait au point sa méthode, ne commençait-il pas par affirmer la nécessité d'une lutte constante contre la précipitation et la prévention, relevés par Nietzsche comme étant génératrices de mensonge ?
Autres aphorismes de la cinquième partie