Nietzsche
Par-delà le bien et le mal
cinquième partie
§ 193
Quidquid luce fuit, tenebris agit 1: aber auch umgekehrt. Was wir im Traume erleben, vorausgesetzt, dass wir es oftmals erleben, gehört zuletzt so gut zum Gesammt-Haushalt unsrer Seele, wie irgend etwas "wirklich" Erlebtes: wir sind vermöge desselben reicher oder ärmer, haben ein Bedürfniss mehr oder weniger und werden schliesslich am hellen lichten Tage, und selbst in den heitersten Augenblicken unsres wachen Geistes, ein Wenig von den Gewöhnungen unsrer Träume gegängelt. Gesetzt, dass Einer in seinen Träumen oftmals geflogen ist und endlich, sobald er träumt, sich einer Kraft und Kunst des Fliegens wie seines Vorrechtes bewusst wird, auch wie seines eigensten beneidenswerthen Glücks: ein Solcher, der jede Art von Bogen und Winkeln mit dem leisesten Impulse verwirklichen zu können glaubt, der das Gefühl einer gewissen göttlichen Leichtfertigkeit kennt, ein "nach, Oben" ohne Spannung und Zwang, ein "nach Unten" ohne Herablassung und Erniedrigung - ohne Schwere! - wie sollte der Mensch solcher Traum-Erfahrungen und Traum-Gewohnheiten nicht endlich auch für seinen wachen Tag das Wort "Glück" anders gefärbt und bestimmt finden! wie sollte er nicht anders nach Glück - verlangen" "Aufschwung", so wie dies von Dichtern beschrieben wird, muss ihm, gegen jenes "Fliegen" gehalten, schon zu erdenhaft, muskelhaft, gewaltsam, schon zu "schwer" sein.
Quidquid luce fuit, tenebris agit 1 - et réciproquement. Ce que nous vivons en rêve, en supposant que nous le vivions souvent, finit par appartenir à l'économie générale de notre âme, au même titre que ce qui est vécu "réellement" : nous en sommes enrichis ou appauvris, nous y gagnons ou un besoin, et nous sommes finalement, en plein grand jour, même aux instants les plus lucides où notre esprit est éveillé, nous nous sommes un peu gouvernés par les habitudes de nos rêves. Supposons qu'un homme ait souvent rêvé qu'il vole en rêve, et qu'il ait fini se dire qu'il a la force et l'habilité de voler, que c'est là non seulement son privilège, mais aussi son bonheur le plus personnel et le plus enviable, un tel homme, qui croit pouvoir exécuter à l'aide de la plus légère impulsion toute sorte de boucles et d'acrobaties, qui éprouve le sentiment de je ne sais quelle légèreté divine, d'un mouvement "ascendant" sans tension ni contrainte, "descendant" sans relâchement ni chute, sans "pesanteur ", cet homme qui connaît en rêve de telles expériences et de telles habitudes, comment ne trouverait-il pas aussi finalement, alors qu'il était éveillé, au mot "bonheur" une autre coloris et une autre tonalité, comment n'aspirerait-il pas autrement au bonheur? Comparé à ce "vol", l'"essor" décrit par les poètes sera pour lui dès lors trop terrestre, trop musculaire, trop violent, pour tout dire trop "pesant".
Prendre ses désirs pour des réalités
Nietzsche inverse dans le § 193 le dicton populaire, cité en latin: " Ce qui est arrivé pendant le jour inquiète aussi pendant la nuit ". Il veut montrer que les aspirations de l'homme, fussent-elles oniriques, colorent sa vision de la réalité tout autant sinon plus que les "restes diurnes", comme dira Freud, peuplent les rêves.
En continuité avec le § précédent, Nietzsche montre ainsi, sur l'exemple d'un homme qui rêverait savoir voler, que l'homme ne saurait être objectif dans sa vision des choses et de leur valeur : il conçoit son bonheur [et le monde] moins à la lumière de la réalité qu'à celle de ses rêves.
Nietzsche démystifie le pouvoir, diurne, de la raison; il nous oblige ainsi à prendre du recul à l'égard de la philosophie des lumières, celle du plein jour, illusoire, en révélant les soubassements affectifs de notre construction du monde.
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