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Introduction
La mort et le soleil ne peuvent se regarder fixement (La Rochefoucauld).Selon Freud, La Rochefoucauld exprimerait ainsi le fait est qu'il nous est absolument impossible de nous représenter notre propre mort... Et Freud en déduit l'attitude que nous adopterions à l'égard de la mort : Personne ne croit, à sa propre mort ou, ce qui revient au même, dans son inconscient chacun est persuadé de sa propre immortalité.
Pour savoir ce qu'il en est au juste, nous examinerons
I. Notre expérience de la mortII. Nos attitudes à l'égard de la mort
I. L'expérience de la mort
A) La conscience de la mort
Si notre inconscient ignore que nous mourrons (cf. Freud), notre conscience le sait !La conscience de devoir mourir est d'ailleurs constitutive de l'humanité. Cf. Pascal : l'homme sait qu'il meurt... l'univers n'en sait rien."
Dès que l'homme se met à penser, il prend conscience de la mort et il en recherche le sens. La pratique des rites funéraires, contemporaine du passage de l'animalité à l'humanité en témoigne. A. Malraux, dans Lazare, s'interroge " Pendant l'hiver de 1943, entre les Eyzies illustres et Lascaux inconnue où nos armes étaient cachées, je me suis demandé, en rêvant aux troupeaux de rennes au loin dans la neige préhistorique, si l'homme est né, lorsque pour la première fois, devant un cadavre il a chuchoté : "Pourquoi?". Il s'est beaucoup répété depuis. Inépuisable bête " Schopenhauer n'hésitait pas, quant à lui, à enraciner le besoin métaphysique de l'homme dans l'étonnement que suscite en lui la mort.
B) Expérience impossible ?
Dans l'émission "Philosophies", diffusée par La Cinq le 7 Juin 1997, à l'animateur qui lui demandait si la mort n'était pas l'impensable pour le philosophe, J.-F. Lyotard répondait en disant qu'il ne saurait y avoir d'expérience de la mort. Nous savons certes que nous mourrons mais nous ignorons comment cela se passera. Voilà, disait J.-F. Lyotard, qui remet en question la notion même d'expérience: experire, c'est aller jusqu'au bout, passer complètement, jusqu'à périr. Mais dans le cas de la mort on ne sait ce qu'il y a après !De l'impuissance dans laquelle nous sommes de vivre le "grand passage" pour en tirer une quelconque expérience, Epicure tirait argument pour neutraliser en nous la peur de la mort : "Le plus terrifiant des maux, la mort n'est rien pour nous, puisque, disait-il, quand nous sommes, la mort n'est pas là, et, quand la mort est là, nous ne sommes plus." Ce disant Epicure ne signifiait que l'expérience impossible de notre propre mort. Cf. commentaire
N'y a-t-il pas une expérience possible de la mort des autres, et en tout premier lieu de nos proches ? Vladimir Jankélévitch, dans son maître ouvrage sur la mort la suggérait, en distinguant la mort en deuxième personne de la mort d'un proche, en première personne, de notre propre mort, en première personne: " la deuxième personne, disait-il, s'offre à nous comme un moyen de surmonter la disjonction" épicurienne entre la mort et nous.
C) La difficulté de penser la mort
Je puis certes faire l'expérience de la mort des autres. Mais si je vois les autres mourir et en suis affecté, reste que ce n'est pas moi qui meure. N'est-ce pas dès lors toujours de l'extérieur que JE parle de la MORT ?Lucrèce, à la suite d'Epicure faisait observer que je ne peux me représenter ma propre mort qu'en imaginant y assister, de l'extérieur, dans un dédoublement illusoire.
Je ne peux également qu'assister en spectateur, impuissant, à la mort des autres, fussent-ils proches. Parler de la mort, c'est parler d'autre chose . Que fait-on d'autre lorsque l'on veille un mort que de parler de la vie, avec et sans lui ?
De la mort elle-même nous ne saurions parler. En effet, Tout ce qui la concerne fait éclater les catégories de discours auxquels nous sommes habitués: le lieu, la date, le temps, la manière... (Jankélévitch)
De toutes façons la vie nous détourne de penser à la mort. Autant d'occupations, autant de "divertissements", au sens pascalien.
II. Attitudes à l'égard de la mort
A) La mort occultée
La mort dérange. Epée de Damoclès suspendue sur nos têtes, elle menace de caducité toutes nos emprises et toutes nos entreprises...Tentation conséquente : l'occulter...
en l'apprivoisant, comme on le voit faire dans les sociétés traditionnelles; en lui déniant, comme Epicure ou Lucrèce, tout impact réel sur nous;
en l'évacuant
- pratiquement, par exemple en pratiquant l'incinération et en plaçant les cimetières en dehors de nos villes et de nos villages;- théoriquement, comme Rosenzweig a montré que la philosophie s'ingéniait à le faire. " Rejeter la peur du terrestre, enlever à la mort son dard venimeux, son souffle pestilentiel à Hadès, voilà ce qu'ose faire la philosophie", disait-il.
B) La mort exploitée
La mort, au service du pouvoir :- L'exécution capitale, lorsqu'elle est pratiquée, est sensée dissuader les hommes de tuer par la peur qu'ils éprouveraient d'être tués eux-mêmes. Elle est alors un instrument au service du maintien de l'ordre social, une arme politique. Cf. Cours sur l'Etat et le pouvoir.- La terreur est une peur collective qu'on fait régner dans une population pour briser sa résistance. Elle est le fait d'un régime politique qui exerce son pouvoir au moyen de cette peur, appelé pour cette raison thanatocratie.
La mort, contre le pouvoir :
Le terrorisme recourt à des actes de violence, à des attentats, pour impressionner toute une population et exercer ainsi son pouvoir contre le pouvoir en place. On a pu dire, à cet égard, qu'il pouvait être "une méthode de gouvernement".
C) La mort affrontée
Apprendre à mourir :Si les Épicuriens préconisent de faire comme si nous ne devions jamais mourir afin de ne pas nous gâcher la vie, les stoïciens, par contre, nous font un devoir d'assumer la mort. Cf. Montaigne: " Philosopher, c'est apprendre à mourir "Combattre la mort :
- Affronter la mort, n'est-ce pas refuser d'abord de la donner. Reconnaître un homme en son humanité, n'est-ce pas, comme l'a répété tant de fois Emmanuel Lévinas, lire sur son visage l'impératif éthique fondateur de tout droit: "tu ne (me) tueras pas !" ?- Affronter la mort, ce n'est pas seulement refuser à la donner, c'est aussi la combattre pied à pied pour la faire reculer. N'est-ce pas ce combat qui donne sens à toute vie ?
Risquer sa vie :
Affronter la mort, c'est enfin oser risquer sa propre vie.- C'est en étant capable de risquer sa vie que l'homme manifeste sa supériorité sur la nature et affirme ainsi sa liberté. Hegel l'a montré dans une analyse célèbre connue sous le nom de "dialectique du maître et de l'esclave" remarquablement exposée par Alexandre Kojève dans son introduction à la lecture de Hegel.
- Accepter de se sacrifier était présenté par le fondateur du christianisme, Jésus le Nazaréen, comme étant le degré suprême du don de soi, degré suprême d'humanité : Il n'y a pas, dit-il en Saint Jean, de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis (Jn 15, 13)
Conclusion
To be or not to be, that is the question, observait Hamlet au moment le plus tragique de son itinéraire existentiel. Telle est bien, en effet, la question d'un être qui s'affirme capable non seulement de vivre, mais aussi d'exister, un être par conséquent pour lequel il y va de son être dans le choix dêtre qu'il fait ou refuse de faire. Cf. cours sur l'existence.
Commmentaire d'un texte d'Epicure
Commentaire d'un texte de Kierkegaard